Pénélope Today : en mars 2019, Patrice Pantin exposait son travail au Hùs, galerie d’art de l’ESADHaR Rouen, maison-cabane située à l’entrée de l’école, sans toit et au quatrième mur amovible. Se saisissant des déplacements intérieur/extérieur, dedans/dehors auxquels incite le lieu, l’artiste proposait dès l’entrée une installation au sol, un fin volume nommé Complice (1998, drap défibré épinglé), posé à même le quatrième mur de la cabane couché sur le sol. Ses peintures et dessins investissaient les murs, proposant quelques grands formats couleurs, notamment Empreinte d’un temps de chauffe (2017, encre sur papier incisé/chauffé), et Empreintes de carton, Empreintes de pierres sur papier (2018, encre sur papier), une série et quelques Incisions en noir et blanc parachevaient l’ensemble. Des travaux plus récents investissaient les murs du hall, certains plus anciens, étaient montrés à l’intérieur du Hùs, accrochées aux murs. Quelques textes, écrits de la main de Patrice Pantin et accrochés au mur, venaient compléter l’exposition. A l’intérieur, une boule était logée par terre, au milieu de la cabane.
Modeste volume hirsute, sorte d’archive circulaire, cette boule est constituée de fines chutes de découpes, collectées et amassées au fil des années de création. Les rebuts de la pratique de l’artiste, des mètres cubes de barbes d’adhésif incisées, sont ainsi données à voir comme une sorte de négatif de la matière même, ou bien comme positif de ses creux. Soigneusement stockées, pétries à la main et consolidées dans une forme ovale évolutive, véritables marqueurs du temps, ces boules en appellent à une archéologie. Ouverte au milieu, la boule permet, tel un tronc d’arbre indiquant son âge, de retrouver et de voir, dans une mise en scène généalogique, l’histoire des couleurs et matières utilisées par l’artiste jour après jour. Peindre, tendre, cramer, coller, inciser avec minutie, collecter : la reprise inlassable de ces gestes constitue l’accumulation en archive.
Le travail de Patrice Pantin se pose d’emblée comme énigme. Qu’est-ce que c’est : impression, sérigraphie, photographie ? Est-ce que ce que je vois est bien ce que c’est ? Et comment ce que je vois a-t-il été fait ? Un temps est nécessaire avant de commencer à comprendre. Commencer à comprendre veut dire commencer à se frayer un chemin vers ce qui fonde l’image, chemin semé d’embuches, d’incertitudes et d’incrédulités. Car Patrice Pantin joue avec les attentes du regard. Il en joue et les déjoue. Il n’y a pas d’accès facile à ses œuvres. Malgré leur caractère saisissant, elles ne reposent pas sur l’effet immédiat, sur le spectaculaire. Dans la retenue, dans la lente élaboration, dans le cheminement temporisé commence à s’épaissir la rencontre avec l’image, avec l’œuvre, avec la peinture. Une peinture que l’on découvre peu à peu, qui est là, qui s’étale en couches infimes et se solidifie en lambeaux et que l’on a pourtant du mal à identifier dans l’immédiat. prouvée, maltraitée, tiraillée au point de casser, apposée et cisaillée, chauffée, salie et révélée, découpe, intervalle, couleur et empreinte, la peinture en prend plein la gueule. Patrice Pantin la manie, il la trace, la blesse, la prélève, la tranche, la tend, la crame, la célèbre.
C’est un travail artistique sur la visibilité, sur les arcanes de la construction du visible, sur l’écart entre ce qu’on voit et ce qui est montré. Toute la démarche de Patrice Pantin consiste à creuser, à ciseler cet écart. A partir de quel moment ce que je vois rencontre ce qui est montré ? Un effort presque surhumain est demandé à celui qui regarde pour parvenir à voir ce qui est présenté à son regard, ce qui est là devant elle ou lui, le visible caché, selon l’heureuse formulation que l’artiste emprunte à René Magritte. Il ne s’agit nullement d’invisible. La peinture est affaire de visibilité, de manières et stratégies de construction et destruction, de conquête du visible, comme le formulait Konrad Fiedler. Le travail de Patrice Pantin n’est pas métaphysique. Ou, mieux, avant de bifurquer vers des considérations métaphysiques qui ne font que nous éloigner de la matérialité de l’œuvre, avant d’y voir une quelconque transcendance, notre regard est accroché, interpelé par ce qu’il croit voir et par ce qu’il ne sait pas y être montré. La peinture est aussi affaire de croyance, d’une croyance à l’illusion ; de la croyance de l’enfant pris par son jeu avec tout le sérieux dont il est capable, et qui fait que lorsqu’il joue, le monde autour cesse d’exister.