Vivre pour des images
(entretien avec Bruno Dubreuil paru dans le blog Viens voir paru le 24 janvier 2018)
Un matin de décembre, dans l’atelier de Patrice Pantin : plongée dans les eaux profondes de l’art, le vrai.
Soyons clair : ce n’est pas de la photo. Ça y ressemble fichtrement, mais ça n’en est pas. C’est même peut-être pour ça que je me suis senti attiré par ce travail au premier regard. Pour la subtilité du décalage avec une forme d’hyperréalisme photographique. Pour ce trouble. Cette envie de passer la main sur l’image pour sentir la texture, pour éprouver qu’elle n’était qu’une image. Comme l’enfant qui croit pouvoir attraper le reflet du monde à la surface du miroir.
La première fois que j’ai rencontré l’oeuvre de Patrice Pantin, c’était sur le salon Drawing Now. Il faut vous dire que ce salon est toujours un de mes plus beaux rendez-vous de l’année. Il y a là tant d’oeuvres qui me font croire que l’action humaine la plus indispensable consiste à prendre un crayon et à tracer des lignes, que j’en sors avec une foi artistique à chaque fois revivifiée.
J’avais posé une question à Patrice Pantin, il avait ouvert un carton à dessin. Agenouillés sur la moquette, nous avions regardé ces empreintes fragiles et évoqué le processus de leur création. J’avais dû poser les mêmes questions à plusieurs reprises tant je n’étais pas sûr de bien comprendre. Il avait fait ce geste que je devais revoir plusieurs fois par la suite : celui de Sainte Véronique tenant le voile ayant servi à essuyer la face du Christ, laquelle s’était imprimée sur le tissu. Entre ses pouces et index, les autres doigts écartés en éventail, il tenait un linge invisible, qu’il déplaçait avec délicatesse. Le mystère restait entier, nous avions convenu de nous revoir.
Alors, quelques mois plus tard, je montais les trois marches qui menaient à son atelier, une pièce tout en longueur. « Ici, c’est comme un sous-marin, sur plusieurs étages » me dit-il. Nous nous sommes penchés sur de grandes feuilles constellées d’impacts. Patrice parlait de tissu pictural et c’était le mot juste, puisque le dessin incisait la trame des fils de scotch entoilé qui avait recouvert la toile.
Le mode de fabrication, le processus, Patrice n’en parlait qu’avec retenue. Il ne voulait pas que ce soit révélé, ni même que ce soit au coeur du regard du spectateur. Ce qu’il voulait, c’était chercher en dessinant. « Il y a dans mes images quelque chose qui se planque, quelque chose qui est absent ». Il a cité Magritte : « je ne cherche pas l’invisible, je cherche le visible caché » Il était question de dessiner avec du sable, dessiner au cutter, au rouleau, et même au chalumeau ! « Les images, je les travaille à l’aveugle. Je recouvre tout puis je chauffe au chalumeau. Et ensuite, j’épluche le dessin ». J’effleurai les images de la paume de la main pour en sentir la granulosité. C’était presque comme toucher de la lumière.